NEUTRALITÉ FACTICE II

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 NEUTRALITÉ FACTICE II

Par Aziz Djaout 


Bien que les commentaires émis sur ce forum suite à la publication du texte NEUTRALITÉ FACTICE n’aient pas réellement répondu à la question posée à la fin de l’article, l’auteur revient cette fois avec une nouvelle version dans laquelle il répond lui-même à son ami. Nous vous invitons à lire cette nouvelle version et répondre à une autre question : selon vous, les trois nouveaux arguments proposés pas l’auteur convaincront-ils son ami ?


Il se bâtit, de plus en plus clairement, au sein de la société québécoise, un consensus visant à interdire le port du hijab aux fonctionnaires. Selon plusieurs organismes et personnalités qui se sont dernièrement prononcés en ce sens, les agents de l’État devraient s’abstenir d’afficher leurs convictions religieuses. Qu’une élève puisse porter le hijab ; soit. Mais qu’une enseignante puisse faire de même ; pas question. 


Selon ses promoteurs, cet interdit se justifie principalement au nom de la laïcité, celle-ci étant définie fort correctement comme le devoir de neutralité des institutions de l’État par rapport aux religions de ses citoyens. Aussi, propose-t-on une Charte de la laïcité, conçue sur le modèle de la Charte de la langue française.

Qui serait contre la vertu ? S’opposer à un tel devoir de neutralité, c’est en effet faire la preuve de son ignorance quant aux ravages historiques et contemporains induits par les États confessionnels. Ce devoir, tout le monde devrait en convenir, est essentiel pour que les fidèles des diverses confessions, ainsi que les citoyens qui n’en ont aucune, puissent justement vivre leurs convictions librement, sans contrainte extérieure. De même, cet impératif de la neutralité institutionnelle est essentiel pour protéger un bien fondamental de nos démocraties modernes : la confiance que doit pouvoir entretenir le citoyen envers l’État, ses institutions et ses agents.

Il reste qu’il y a neutralité et neutralité. Ce dont nous avons besoin, tout le monde devrait en convenir également, c’est d’une véritable neutralité, une neutralité qui ne se contente pas de son apparence. Or, rendre invisible la kippa, le turban ou le hijab, transforme-t-il réellement le juif, le sikh ou la musulmane en des agents neutres dans le cadre de leur pratique professionnelle ?

 

Nos aïeuls diraient que non, eux qui avertissaient que les apparences étaient souvent trompeuses et que l’habit ne faisait que rarement le moine (ou l’imam ou le rabbin). Comment, dès lors, pourrions-nous soutenir que le “déshabit” ferait le laïc ? Certes, la neutralité visée représente un objectif louable, mais le moyen proposé pour y parvenir nous semble plus que douteux, pour ne pas dire trompeur. C’est, en fait, une solution de facilité par laquelle les organismes et les personnalités en question aspirent clore un débat dont on craint de plus en plus les dérapages, et qui aurait, aux goûts de certains, que trop duré.

Être laïc, pourtant, ce n’est aucunement ne pas afficher sa conviction ; c’est plutôt être en mesure de la contrôler, en intériorisant un état d’esprit qui invite l’agent de l’État, qu’il soit religieux, athée ou agnostique, à refuser à ses convictions d’influencer sa pratique et ses jugements professionnels. Rien ne laisse croire que les croyants, de quelque confession que ce soit, seraient incapables de détenir un tel état d’esprit. D’autant plus lorsque l’institution se dote, comme elle devrait, d’un ensemble de processus concrets, plutôt que purement symboliques, pour garantir la neutralité des actes professionnels posés par ses agents. Bref, une neutralité factice demeure une neutralité factice, quand bien même nous délesterions tous les agents de l’État de tous les signes religieux auxquels ils tiennent.

Quoique convaincant, ce raisonnement, certains pourraient s’objecter, ne s’applique pas dans le cas spécifique de l’enseignante. Quand bien même son enseignement ne porterait que sur les mathématiques ou la science naturelle, le fichu de celle-ci constituerait, à leurs yeux, un prosélytisme d’autant plus répréhensible qu’il influencerait des enfants ne possédant pas encore le jugement critique envers les questions religieuses. Contrairement à l’argument général de la “la neutralité factice”, il faut admettre que cette objection paraît plus robuste. Elle ne résiste pourtant pas au test de la réalité. Pour trois raisons.

Primo : le cursus académique actuel de nos enfants les expose à plusieurs enseignantes et enseignants. Parmi ces derniers, certains portent des signes religieux très divers, d’autres n’arborant aucun. Dans ce cas, si prosélytisme il y aurait, c’est celui de la diversité des postures existentielles (religieuses ou non) qui se côtoient et se respectent. Quel mal y a-t-il que nos enfants puissent découvrir cette diversité dans un cadre aussi serein que celui de l’école ?

Secundo : à partir de l’année scolaire 2008-2009, le nouveau programme intégrera un cours de culture religieuse qui aura justement comme but l’introduction de nos enfants au pluralisme religieux présent dans notre société. Nos enfants sauront ainsi qu’il existe au Québec diverses confessions religieuses et philosophies de vie. En quoi la présence de ce pluralisme parmi le corps professoral serait-il plus préjudiciable à l’enfant que parmi ses copains d’écoles ou ses voisins de quartier ?

Tercio : les parents peuvent, s’il y a lieu, corriger toute influence jugée indue sur leur enfant. Ici, nous retrouvons le point précédent de la neutralité factice. Personnellement, je préfère savoir que l’enseignant de mon fils est un sikh enturbanné ou une musulmane voilée, mais respectueux des croyances différentes de leurs élèves, qu’un sikh ou une musulmane à qui une neutralité factice aurait permis un prosélytisme plus grave car insidieux.

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