Des imams et de nos contradictions

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 Des imams et de nos contradictions

L’équipe Salamontréal, vous propose ce texte, dans lequel l’auteur, Abdelaziz Djaout, partage avec nous une lecture critique portant sur le documentaire de la journaliste Nadia Zouaoui, diffusé hier sur les ondes de Radio-Canada. Le documentaire de Mme Zouaoui traitait de la problématique des imams, tout en lui suggérant certaines solutions. Excellente lecture !

Par Abdelaziz Djaout


L’enquête journalistique de Mme Nadia Zouaoui, diffusée hier soir à Radio-Canada et portant sur l’enjeu des imams et des mosquées au Québec, est à saluer. L’absence remarquable dans le panorama médiatique de journalistes issus des communautés culturelles, et particulièrement de la communauté maghrébo-musulmane, fait en sorte que l’on se réjouit du travail de Mme Zouaoui, d’autant plus que la journaliste semble bien informée des réalités de notre communauté.

De même, on est enchanté du thème choisi. Il est incontestable que la question des imams (choix, discours et formation) se pose. Pour utiliser un cliché, la fonction de l’imamat est trop importante pour être laissée aux soins des seuls imams. Par sa nature, mais aussi à cause du contexte dans lequel nous vivons, cette fonction, pour ainsi dire stratégique, mérite en effet qu’elle fasse l’objet d’une réflexion soutenue au sein de notre communauté.

Enfin, nous nous réjouissons de l’enquête d’hier parce qu’elle a réussi, me semble-t-il, à éclairer certaines de nos plus tenaces contradictions. La plus évidente – et la plus grave au registre politique – porte sur notre rapport ambivalent à la notion de la laïcité. Cette contradiction connota, en effet, et la démarche de la journaliste et les interventions de plusieurs personnalités interrogées dans son documentaire. Que le choix et les discours de certains imams soient problématiques, nous ne saurons le contester. Mais, cela justifie-t-il cet empressement à convier les pouvoirs publics à « encadrer les imams » ?

Sans aller jusqu’à considérer cet appel comme une volonté de mise sous tutelle du culte musulman au Québec, ni à l’interpréter comme un regard plutôt paternaliste vis-à-vis des membres et des institutions de notre communauté, il n’en est pas moins légitime de s’interroger sur le sens de cette invitation à l’ingérence étatique dans les affaires d’une « communauté de foi ». N’est-elle pas contraire au socle du système laïc, à savoir le principe de la séparation des pouvoirs civils et religieux ? Ce principe n’est-il pas une valeur-clé de notre société et un fondement de l’État moderne auxquels nous proclamons tous notre adhésion ?

Si venant de l’imam Koné cette invitation n’étonne pas, compte tenu de la nature du groupe soufi extrêmement politisé auquel l’imam naqshbandi appartient, elle laisse pour le moins pantois quand elle semble recevoir l’appui de certaines personnes considérées au sein de la communauté comme des laïcs, ou quand elle se retrouve dans le générique présentant l’émission sur le site web de Radio-Canada.

La deuxième contradiction – dont la gravité s’inscrit cette fois sur le plan intellectuel (ou dans l’univers des idées, comme l’aurait dit Bennabi) – nous a semblée être l’utilisation un peu légère, à la limite du psittacisme, de la notion de contextualisation, celle-ci étant l’adaptation de la compréhension de nos sources scripturaires ainsi que l’inflexion de nos discours et nos pratiques, religieuses et citoyennes, en fonction des réalités économiques, politiques et psychosociologiques qui nous entourent.

Nous ne savons pas, en effet, d’où certains intervenants tiennent que l’aptitude psychologique et intellectuelle de la contextualisation puisse dépendre du nombre d’années passées au Québec. Ces personnes – qui semblent être dérangées par certains imams qu’ils n’hésitent pas à qualifier d’« importés » (est-ce un brin de mépris d’une « occidentalité » proclamée ?) – souhaitent-ils à l’instar du projet Marois, qu’ils décrient par ailleurs, réserver la fonction d’imams aux natifs et/ou à ceux qui résident ici depuis un nombre d’années qu’il resterait juste à fixer ?

Le plus ironique par rapport à ce point est le camouflet qu’apporte le documentaire lui-même à cette logique. En effet, qui est et d’où vient l’imam Abou Hamaad Sulaiman Al-Hayiti (lisez l’Haïtien), qui représentait dans le documentaire l’imam illuminé dont le discours inquiète (la journaliste disait : dangereux) ? N’est-il pas un natif dont la mère est de « souche » et le père d’origine haïtienne ? En contraste, depuis quand l’imam Dr. Aziz Chraïbi est-il au Québec ? Selon nos informations, ce cadre qui représentait dans le documentaire l’autre visage de l’imamat montréalaise, le visage bien intégré dont le discours apaise, n’a pas cinq ans de présence au pays.

Aussi, la conclusion saute aux yeux. Contrairement à une idée naïve et un peu trop répandue parmi nous, la compréhension du contexte n’a jamais été et ne sera jamais une question de lieu de naissance ou de nombre d’années passées au Québec. Elle était, elle est et elle restera, d’abord et avant tout, le fruit naturel de l’étude sérieuse de l’histoire et du présent de la société dans laquelle nous nous trouvons et avec laquelle nous sommes tous sommés, religieusement et rationnellement, d’interagir pour mieux connaître et mieux servir.

Ici quelques esprits fins pourraient dire que l’étude souhaitée exige du temps et que l’argument avancé revient donc à soutenir l’idée contestée. Il en est pourtant rien. Car, convenons-en une bonne fois pour toutes, le temps du super-ouléma maîtrisant textes et contextes est révolu. Il est temps pour les musulmans d’ici (et un peu partout dans le monde) de comprendre que nous vivons à l’ère des organisations et des systèmes, cette ère de l’institutionnalisation qui revendique de nous l’apprivoisement du travail collectif et de l’esprit d’équipe. Dans ce sens, un imam récemment installé au Québec mais bien entouré vaut mille grandes gueules locales imbibées de leur savoir et faisant cavaliers seuls. Autrement dit, la contextualisation que nous souhaitons tous sera collective ou ne sera pas.

Avant de conclure, reste un mot, que j’adresse fraternellement à l’intellectuel Québécois de confession musulmane, notre frère Rachid Rafaa, mais qui nous intéresse tous dans la mesure où il met le doigt sur une autre contradiction dont souffre la pensée et l’action musulmane au sein de notre communauté. Sans s’étaler sur le sujet, je dirais seulement qu’il me semble inadmissible de décrire nos réalités communautaires sur la base de nos seuls anecdotes personnelles, et encore moins de laisser entendre que les imams seraient majoritairement irresponsables (traitant mêmes les cas psychiatriques !).

Ces affirmations, quand bien même elles existeraient, lorsqu’on omet de préciser leur caractère exceptionnel, font mal non seulement aux imams mais aussi à l’ensemble des membres de la communauté, que nous présentons ainsi et malgré nous comme un troupeau de crédules ne méritant aucunement le respect de leurs concitoyens. Cette façon de procéder laisse croire que nous continuons, intellectuels, cadres associatifs comme simples musulmans, à traiter les plus graves de nos questions avec une légèreté des plus désolantes.

Bref, bien que nous nous soyons triplement réjouis du documentaire de Mme Zouaoui, nous ne pouvons malheureusement que regretter la manière dont il a abordé les réponses qu’il aurait été possible d’apporter à la question importante qu’il posait. En fait, par rapport à l’imamat, comme dans tout, il ne suffit pas de soulever les bonnes questions. Il est indispensable de faire l’effort de les traiter avec un minimum de rigueur.


 

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