3ème partie : Diplômes algériens à l’épreuve du « modèle » canadien

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Diplômés algériens à l’épreuve du « modèle » canadien

Avec la collaboration de M. Hocine Khelfaoui, Professeur associé au Centre Interuniversitaire de Recherche sur la Science et la Technologie, UQAM, Montréal, SALAMONTREAL, vous présente un dossier intitulé : Diplômés algériens à l’épreuve du « modèle » canadien. Le dossier sera présenté sous forme de plusieurs  épisodes.

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 3ème partie

L’inscription auprès des ordres professionnels

Le deuxième niveau, autrement plus difficile à franchir, est lié à l’institutionnalisation de la plupart des professions dans des ordres professionnels. Au Canada, les professions sont organisées dans des « ordres », dont la mission est de veiller à préserver l’intérêt public des erreurs pouvant venir d’une maîtrise insuffisante de la profession. L’obtention de la reconnaissance des ordres professionnels est indispensable pour l’accès au marché du travail, sans pour autant garantir l’obtention d’un emploi, qui est du strict ressort du marché du travail. Rien qu’au Québec, une des 13 provinces et territoires de la fédération, il existe quelques 81 ordres professionnels recensés par le centre d’information canadien sur les diplômes internationaux (CICDI), qui vont de l’ordre des ingénieurs à l’ordre des spécialistes en ressources humaines, en passant par l’ordre des dentistes, des médecins, etc…

Lorsqu’un ingénieur, quel que soit son pays d’origine, arrive au Canada avec l’intention d’y exercer son métier, il doit d’abord obtenir son inscription auprès de l’Ordre des Ingénieurs de la province où il s’est installé. Il commence par introduire un dossier qui retrace dans le détail sa formation. Comme c’est la règle au Canada, des frais d’études des dossiers sont demandés (*) . Ces frais, jugés excessifs par les immigrants algériens habitués en Algérie à la gratuité de la plupart des services publics, sont défrayés pour des chances minimes de se voir accorder, à l’issue d’une longue procédure, l’inscription au tableau de l’ordre professionnel convoité. Par exemple, l’ordre des dentistes québécois n’octroierait la reconnaissance qu’à environ 1% des demandes déposées par l’ensemble des immigrants.

La longueur et la complexité de la procédure de reconnaissance varient d’un ordre à un autre. Certains ordres donnent la possibilité de démarcher son inscription avant même d’émigrer, à partir du pays d’origine. L’Ordre des chimistes en est un, et passe pour être celui dont la procédure d’étude des dossiers est la plus souple. Certains le donne en exemple pour son « ouverture » aux immigrants, d’autres en attribuent la souplesse à la clarté des critères de qualification, aisément évaluables en chimie ; l’évaluation serait plus difficile dans les professions dont les compétences ne sont pas seulement scientifiques (donc quantifiables) mais aussi comportementales, éthiques et sociales…, comme celles des médecins, des spécialistes en management, des dentistes. Aux périodes de forte immigration, certains ordres croulent sous les demandes de reconnaissance : par exemple, l’Ordre des ingénieurs ferait face à des milliers de demandent qui proviennent du monde entier, y compris des pays développés.

Prenons ce témoignage recueilli auprès d’une pharmacienne : pour être inscrite sur le tableau de l’Ordre des pharmaciens, elle a présenté sa candidature en même temps que 101 autres confrères, provenant de plusieurs pays. Sur l’ensemble de ces candidats, 20 ont passé avec succès l’étape de l’étude des dossiers et cinq sont arrivés à l’étape de l’entretien final d’une durée d’une heure. Cet entretien, conjugué à l’étude déjà faite du dossier, vise à évaluer la compétence des candidats et à définir les connaissances qui leur restent éventuellement à combler pour être inscrits au sein de l’Ordre. La candidate en question est sortie de l’entretien avec une liste de matières « à refaire » à l’université. En fin de parcours, l’Université de Montréal et l’Université Laval, les deux universités francophones qui assurent au Québec un enseignement dans cette filière, n’ont pu organiser les modules demandés, faute d’un nombre suffisant de candidats aux études. Au final, elle n’a pu suivre le complément de formation exigé par l’ordre professionnel.

La compétence vue du marché du travail

Inscrit auprès de son ordre, le professionnel immigrant peut enfin prétendre postuler à un emploi conforme à « sa formation ». Il atteint alors le troisième niveau, celui de l’appréciation de sa compétence par le marché du travail. C’est une étape au cours de laquelle il peut être confronté à des difficultés non moins complexes que celles de la précédente. Ces difficultés sont essentiellement liées à la confrontation entre deux conceptions sociales de la compétence, celle du pays d’accueil et celle reçue et intégrée dans le pays d’origine.

Il y a d’abord lieu de noter la tendance des Algériens à n’accepter que les emplois qu’ils jugent « à la hauteur » de leurs titres scolaires, qui sont, comme cela a été déjà noté, assez élevés. Les Algériens ont tendance à accorder au diplôme une valeur en soi, déconnectée de sa finalité économique. C’est là certes un trait culturel assez répandu dans les contrées méditerranéennes, où le diplôme tient parfois lieu de quasi-titre de noblesse (Bourdieu, 1989) mais, pour des raisons que nous avons analysées ailleurs (Khelfaoui, 2006), ce trait se trouve particulièrement souligné chez les Algériens. Or dans la culture canadienne du travail, le titre n’a de valeur que s’il vient renforcer une performance concrètement et quotidiennement validée. Ainsi, les professions sont « hiérarchisées » moins par le niveau de scolarisation et le prestige du diplôme qui y mène, que par le revenu qu’elles génèrent et l’importance qu’elles tiennent dans le marché du travail. L’échelle des professions existante, pour autant que l’on puisse parler d’échelle, est presque à l’opposé de celle qui a cours en Algérie.

Par exemple, les travaux manuels du BTP sont parmi les mieux payés et les plus recherchés; il en est de même de ceux de la voirie ; ce sont là des secteurs syndiqués et protégés par des quasi lobbies. Contrairement à ce qui se passe en Europe, où ces métiers sont méprisés et laissés aux immigrants (l’éboueur-immigrant est devenu une figure mythique et « coloriée » du cinéma et de la littérature français et africains francophones), on ne verrait que rarement un immigrant dans les chantiers de BTP ou de la voirie à Montréal, ville où se trouve pourtant concentré 85% de l’immigration québécoise. S’inscrivant à contre sens de ces valeurs, les Algériens continuent à fonctionner suivant la logique du diplôme et du titre et hésitent toujours à prendre un emploi qui leur paraît « sous qualifié ». Ce comportement est largement étranger à la culture du pays d’accueil où ce qui importe, ce sont les compétences effectives, qu’une université peut certes cautionner par un diplôme, mais ne peut en aucun cas imposer au marché du travail où seuls les valeurs de l’entreprise ont cours.

Par Hocine Khalfaoui

Professeur associé au CIRST, UQAM 

(*)  Le coût de la procédure de reconnaissance du diplôme par l’Ordre des dentistes du Québec (ODQ) est de 2663 dollars (1000 dollars pour l’étude de la demande, 1013,30 dollars de « frais relatifs à l’obtention du permis d’exercice de l’ODQ (renouvelables annuellement) » et 650 dollars d’assurance-responsabilité professionnelle payable annuellement pour figurer dans le tableau de reconnaissance de l’ODQ. Pour l’Ordre des ingénieurs, la somme à payer est de 1149,25 dollars dont 263,55 dollars payables annuellement.


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