2ème partie : Diplômés algériens à l’épreuve du « modèle » canadien

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 Diplômés algériens à l’épreuve du « modèle » canadien

Avec la collaboration de M. Hocine Khelfaoui, Professeur associé au Centre Interuniversitaire de Recherche sur la Science et la Technologie, UQAM, Montréal, SALAMONTREAL, vous présente un dossier intitulé : Diplômés algériens à l’épreuve du « modèle » canadien. Le dossier sera présenté sous forme de 7 épisodes.

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2ème partie  

  • L’intégration vue sous le prisme de la formation et de la culture professionnelle reçues dans le pays d’origine

Une étude effectuée pour le compte de Statistiques Canada (Sweetman, 2004), montre que les membres de la communauté algérienne comptent parmi les plus diplômés. Dans le tableau ci-après, on peut constater que par nombre moyen d’années d’études, les Algériens sont au troisième rang, avec 16,19 années, après les Égyptiens avec 16,84 années et les Camerounais, dont la communauté immigrante atteint 18,44 années d’études en moyenne. L’échantillon de population de ces trois pays, Cameroun, Égypte et Algérie reste d’ailleurs en tête de classement des 100 pays présentés dans l’étude de Sweetman.

Cependant lorsque l’on regarde les gains au travail (il s’agit ici des revenus annuels), on remarque que les Algériens ont les plus faibles revenus moyens. Seul le revenu moyen de la communauté chinoise (Chine Populaire), qui n’a que 13,38 années d’études, se trouve légèrement plus bas. Encore que le cas des Chinois est assez particulier, ces derniers étant pour l’essentiel employés au sein même de leur propre communauté, contrairement aux Algériens qui sont plutôt en quasi-totalité employés par des entreprises ou des administrations canadiennes. On remarque aussi que la population féminine algérienne dispose d’un niveau d’éducation presque aussi élevé que celui des hommes, et vient, avec 15,31 années d’études, en deuxième position après les immigrantes égyptiennes, qui totalisent une moyenne de 15,73 années d’études. Cette caractéristique pourrait tenir des critères de sélection des candidats à l’émigration ; ceux-ci qui seraient choisis en fonction du niveau d’éducation des deux membres du couple et pas seulement du « requérant principal », terme par lequel les services de l’immigration canadienne désigne la personne qui formule la demande d’immigration, et qui généralement, lorsqu’il s’agit d’une famille, l’époux.

Observons toutefois, en ce qui concerne la population immigrante algérienne, que le niveau moyen de rémunération des femmes est, pour un niveau éducatif assez proche, très inférieur à celui des hommes. Avec 21118 dollars, ce revenu moyen ne représente que 66,56% de celui que perçoivent les hommes. Dans un pays où, au plan social et familial, l’égalité des sexes est réputée absolue, ce résultat est fort étonnant. Peut-on le mettre sur le compte d’une différence de niveau d’éducation aussi minime que 0,78 année d’études sur un total de 15 à 16 années ? Il semblerait que certains types d’emplois habituellement occupés par les femmes sont sous payés, mais on ne sait pas si les femmes algériennes sont présentes en si grand nombre dans ces secteurs…

Certes, les femmes algériennes qui débarquent au Canada semblent trouver à s’employer plus rapidement que les hommes. Nous n’avons pas de chiffres pour étayer cette affirmation, mais c’est ce qui s’observe et se dit dans le milieu communautaire. Ceux et celles qui tiennent ce discours l’expliquent souvent par la tendance des femmes à accepter de se recycler ou d’occuper des emplois qui ne correspondent pas à leur formation initiale, voire qui sont déqualifiés. Par exemple, un grand nombre d’entre elles, avec un niveau bac + 4 et bac + 5 (ou baccalauréat au Québec) travaillent comme éducatrices dans des jardins d’enfants. On peut certes trouver aussi des hommes de même niveau exerçant des métiers de chauffeurs de taxi, de vendeurs…, mais la tendance serait plus forte chez les femmes. Cela explique-t-il cette différence de salaire ? La question mérite d’être posée.

L’étude de Sweetman n’aborde pas cette question en particulier, mais s’attache à expliquer le niveau de rémunération des différentes communautés immigrantes par la qualité des études effectuées dans le pays d’origine. Chiffres à l’appui, l’auteur énonce que « des examens normalisés internationaux indiquent des écarts appréciables de rendement moyen entre les systèmes scolaires nationaux » et que ces résultats peuvent expliquer ceux que l’on retrouve dans le marché du travail, « en particulier au niveau des gains d’emploi individuels. » L’auteur appuie son affirmation sur les chiffres qui apparaissent dans la dernière colonne du tableau suivant et qui montrent les résultats obtenus par chaque pays dans ces « examens internationaux normalisés » [1]. Ces résultats chiffrés apparaissent dans une évaluation effectuée par Hanushek et Kimko (2000). L’Algérie y est classée parmi les derniers pays avec une note de 28,06 sur 100, juste avant la Bolivie avec 27,47 et l’Égypte avec 26,43. À l’inverse, le pays le mieux classé est Hong Kong, avec 71,85 sur 100.

L’auteur de cette étude, qui se réfère à une population âgée de 30 à 50 ans, précise : « En 2000, l’écart entre les gains annuels moyens des nouveaux immigrants et ceux des personnes nées au Canada était d’environ 12300 $ pour les hommes et d’environ 8600 $ pour les femmes. Cet écart s’est élargi depuis 1980, soit d’environ 6400 $ pour les hommes et de 2140 $ pour les femmes (en dollars constants), en dépit de la hausse du niveau de scolarité mesuré des immigrants. » L’idée selon laquelle les difficultés d’intégration professionnelle des algériens, comme celle des autres communautés immigrantes, soient reliées à la qualité de la formation reçue dans le pays d’origine est reprise également tant dans les évaluations officielles canadiennes que par certains médias communautaires algériens.  

Ainsi, ce qui ferait la particularité des Algériens, c’est d’être « les seuls immigrants du monde arabe à demeurer longtemps sur l’aide sociale de l’État » selon un animateur d’une radio communautaire algérienne (rapporté par le quotidien El Watan du 7 juillet 2004.) La même source ajoute que « la question de la qualification professionnelle de l’immigration algérienne a été déjà posée en 1997 dans un rapport du ministère des Ressources humaines. » Le correspondant du quotidien algérien à Montréal attribue à la province du Québec, qui reçoit la plus grande partie des immigrants algériens, la volonté de reconfigurer « sa politique de l’immigration où, en toute vraisemblance, on privilégie les pays qui ont de solides traditions en matière d’éducation pour leur soustraire la main-d’œuvre de qualité. » On peut cependant noter que cette allégation est loin d’avoir été confirmée puisqu’en 2007, l’immigration algérienne au Québec est passée au premier rang de toutes les autres, déclassant celle en provenance de France et de Chine.

Au-delà des réserves que l’on peut formuler à l’égard de ces « examens internationaux normalisés », notamment sur leurs conditions de déroulement et le choix des populations qui y participent, les résultats qu’elles affichent paraissent assez plausibles. Cependant, une étude plus attentive, qui irait au-delà des simples quantifications statistiques, pourrait révéler d’autres facteurs explicatifs et montrer que les difficultés d’intégration de l’immigration algérienne ne sont pas seulement redevables à la qualité de l’éducation et de la formation reçue. Ces facteurs ne font toutefois que relativiser la pertinence de ces conclusions, et n’en remettent pas en cause les fondements. En effet, ces résultats chiffrés n’expliquent pas pourquoi, par exemple, le revenu moyen de la communauté égyptienne est bien plus élevé que celui de son homologue algérienne alors que le système éducatif de son pays d’origine est bien moins notée. De même que d’autres pays comme la Chine qui, avec une note appréciable de 64,42, affiche un revenu moyen de sa communauté bien inférieur à celui des Algériens.

De ce fait, ramener le problème de l’intégration des immigrants à une différence de qualité de l’éducation reçue dans le pays d’origine est une explication pour le moins partielle. En ce qui concerne les immigrants algériens, plusieurs autres facteurs explicatifs peuvent intervenir. Il y a d’abord le parcours de reconnaissance qui se pose à l’immigrant en termes académique, professionnel et social ; ce parcours, qui constitue un chemin obligatoire pour l’accès au marché du travail, tend à être occulté par cette étude. Ensuite, il y a la différence de valeurs associées à l’éducation reçue dans le pays d’origine, qui porte moins sur la qualité (terme aussi péjoratif que subjectif) de l’enseignement que sur son orientation et sur la nature des problèmes sur lesquels elle est censée se pencher. Enfin, il y a le contexte particulier de l’immigration algérienne dans pays d’accueil, notamment son éclatement et la faiblesse de ses soutiens en terme de réseaux sociaux et communautaires. 

  • Le parcours de la reconnaissance professionnelle

L’accès au marché du travail canadien se fait à l’issue d’un processus long et semé d’embûches. Outre sa complexité, il est déterminé par des aptitudes socioprofessionnelles particulières au pays d’accueil et peu connues des Algériens. De manière générale, ces aptitudes sont appréciées à trois niveaux : le niveau politique (reconnaissance des diplômes et conformité des itinéraires scolaires), le niveau institutionnel (reconnaissance des compétences par les ordres professionnels) et le niveau du marché de l’emploi (reconnaissance des aptitudes au travail par les employeurs, aptitudes qui revêtent ici un caractère plus social que professionnel.) Ces niveaux, dont chacun constitue une condition nécessaire mais non suffisante pour postuler au suivant, sont tout à fait indépendants les uns des autres, chacun ayant ses propres critères d’appréciation.  

Le premier niveau porte sur l’attribution par les autorités provinciales des équivalences de diplômes obtenus à l’étranger ; cette exigence vaut même pour les diplômes obtenus dans une autre province ou territoire du Canada. À ce niveau, la procédure est simple. Les services concernés, en l’occurrence ceux de l’immigration, disposent d’informations, à priori à caractère général puisqu’elles portent sur le nombre d’années d’études par palier scolaire (primaire, secondaire et supérieur), sur la plupart des systèmes éducatifs du monde. L’équivalence est effectuée selon le seul critère du nombre d’années d’étude suivi. Par exemple, au Québec, la licence algérienne (16 années d’études sont reconnues comme l’équivalent du baccalauréat québécois). Cette reconnaissance, accordée par le ministère de l’Immigration, est fort simple et s’acquiert en quelques semaines, moyennant des frais de 100 dollars environ.

[1] L’indice de qualité de la scolarisation dont il s’agit ici a été élaboré par Hanushek et Kimko (2000). « Il est fondé sur six ensembles d’examens en mathématiques et en sciences qui ont eu lieu entre 1965 à 1991 par deux organismes internationaux de docimologie de l’éducation. Ne mesurant ni les résultats d’examens ni les compétences liées au niveau individuel, il traduit en moyenne les résultats du système scolaire de chaque pays. » (Sweetman, 2004)

 

Par Hocine Khalfaoui

Professeur associé au CIRST, UQAM

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