L’emploi est au centre de l’intégration des maghrébins au Québec

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L’emploi est au centre de l’intégration des maghrébins au Québec

 

Êtes-vous prêt à quitter le Canada pour un pays qui offrirait de meilleures chances d’emploi ? À cette question, 77% des répondants se disent prêts à quitter le Canada, alors que 17% choisissent de rester au Canada même sans emploi et uniquement 5.7% disent ignorer la réponse.

Par Ahmed Mahidjiba


Êtes-vous prêt à quitter le Canada pour un pays qui offrirait de meilleures chances d’emploi ? À cette question, 77% des répondants se disent prêts à quitter le Canada, alors que 17% choisissent de rester au Canada même sans emploi et uniquement 5.7% disent ignorer la réponse (545 participants).

Ces résultats, qui corroborent les données officielles du ministère de l’immigration, montrent clairement que la composante qui domine l’immigration maghrébine est économique. La recherche d’emploi est la raison principale qui motive les membres de cette communauté à quitter leur pays d’origine. Ils sont même aptes à faire davantage de sacrifices, en quittant cette fois leur pays d’adoption, pour s’installer dans un nouveau pays, si les chances de trouver un emploi sont plus séduisantes.

D’ailleurs, l’échec professionnel chez les magrébins semble tellement répandu que le gouvernement du Québec songe à modifier les critères de sélection qui ont été mis en vigueur depuis 1996 [Godin et al., 2004]. Selon Godin et al, les difficultés rencontrées par les magrébins pour trouver un emploi sont multiples. Les chercheurs précisent que : « certaines difficultés ont été citées particulièrement souvent par certains groupes de répondants : 55 % des Maghrébins ont déclaré que leur expérience de travail acquise hors Québec n’était pas reconnue; 50 % ou plus des répondants Maghrébins [citent] leur méconnaissance de l’anglais comme obstacle à l’emploi » [Godin et al. 2004 p. 43].

La conclusion est donc claire : contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, une large part de l’immigration maghrébine au Québec est une immigration économique. Les milliers de Maghrébins qui ont quitté leur pays l’ont fait essentiellement pour améliorer leurs conditions de vie. Pour ces Néo-Canadiens, le seul baromètre susceptible de jauger leur réussite reste l’intégration professionnelle. Aussi, nul besoin d’être un érudit dans l’intégration des immigrants pour comprendre que, dans leurs esprits, l’échec dans la vie professionnelle équivaut en réalité à l’échec de leur projet d’immigration, ce qui peut sérieusement compromettre leur intégration, voir la rendre impossible. Ce constat devient encore plus préoccupant quand on comprend que l’adhésion de l’immigrant aux valeurs démocratiques du Québec est souvent conditionnée par la réussite économique. Il est nécessaire donc d’étudier, avec beaucoup plus de rigueur, cet aspect pour analyser les facteurs qui détermineront la réussite de l’intégration des maghrébins.

Lors des entretiens conduits récemment par Jacques PALARD, dans le cadre d’une mission de recherche à Montréal au cours de l’automne 2004 : « […] de nombreux cas ont été évoqués de médecins ou d’ingénieurs maghrébins qui sont devenus chauffeurs de taxi, boutiquiers ou livreurs de pizzas. Selon Abdel, ingénieur agronome algérien devenu commerçant de détail dans la banlieue de Montréal, « le Québec veut des enfants d’immigrés encadrés par des parents universitaires auquel on n’accorde pas de statut professionnel décent. C’est du racisme tranquille. D’autres ont souligné la tendance au repli ethnique qui accompagne la déqualification professionnelle et la perte de statut social » [Pallard, 2004 p. 9].

Plusieurs études ont montré que l’insertion socioprofessionnelle des immigrants représente un véritable défi pour les modèles d’intégration adoptés par les différents gouvernements (fédéral et provincial). En effet, il ressort de ces études que ces approches d’intégration sur le marché du travail remettent en question un certain nombre de facteurs. À titre d’exemple, la maîtrise de la langue de la majorité dominante, les qualifications professionnelles, le niveau d’éducation et les expériences de travail représentent-ils toujours des facteurs qui favorisent l’intégration socioprofessionnelle des immigrants ? Quel est l’impact des facteurs environnementaux (société) dans la réussite (ou non-réussite) des différents modèles d’intégration ? Quelles sont les véritables limites des services d’accueil et d’orientation mis en place par l’État ? Ces modèles ne doivent-ils pas faire l’objet d’évaluations rigoureuses?

Nous savons que les immigrants et les Maghrébins en particulier ont été sélectionnés essentiellement en fonction de certains facteurs intrinsèques tels que les acquis professionnels (diplômes, formation, niveau d’éducation), l’expérience de travail, la motivation et habiletés de travail sur le plan individuel et social. La question qui mérite donc d’être posée est : pourquoi ces facteurs favorisent-ils relativement bien l’intégration des immigrants issus d’autres cultures et pas ceux issus de la culture arabo-musulmane ?

Cette exclusion dont est victime la communauté Maghrébine ne favorise-t-elle pas ce que Portes et al (1987) appellent l’enclave ethnique ? Selon eux, le marché du travail, dans le cas des immigrants, est constitué de trois segments distincts à savoir le primaire, le secondaire et l’enclave ethnique. Notons que le segment primaire est caractérisé par les hauts salaires et les rendements élevés sur le capital humain accumulé. Ce segment se caractérise également par une plus grande sécurité de l’emploi, une bonne protection sociale et des perspectives de carrière attractives. Le segment primaire est composé essentiellement de grandes firmes qui sont derrière la création des marchés internes du travail.

Quant au segment secondaire, il s’agit des emplois dont la rémunération est largement inférieure à celle du segment primaire. Le segment secondaire est également caractérisé par une durée limitée des emplois, une faible protection sociale et un taux de chômage élevé par rapport au segment primaire. Les conditions de travail difficiles font également de ce segment un secteur dont les perspectives de carrières sont très peu attractives ou parfois quasi-absentes [Coulon et Flückiger, 2000]. La discrimination réduit la mobilité sectorielle des travailleurs issus de certaines communautés ethniques en bloquant l’accès aux emplois du secteur primaire. Pour d’autres communautés ethniques, c’est les faibles qualifications qui bloquent leur ascension sociale tout en mettant une barrière aux emplois du segment primaire. Dans les deux cas (discrimination et/ou faibles qualifications), ces minorités sont reléguées dans des emplois très mal rémunérés en les confinant dans le segment secondaire du marché. Cette structure du marché (primaire et secondaire) suscite l’apparition d’un troisième segment appelé par Portes l’enclave ethnique. C’est exactement la situation dans laquelle se trouve une grande majorité de la communauté Maghrébine au Québec.

Il est tout à fait normal, selon Portes, qu’un sentiment d’appartenance à la culture d’origine d’une communauté ethnique peut se produire chez ses membres lorsqu’elle est victime de la discrimination et du racisme. Cette situation encourage les membres de cette communauté à participer davantage à des réseaux sociaux de même origine ethnique et une « solidarité contrainte » accompagne toutes les actions et les obligations socio-économiques destinées à l’aide des nouveaux arrivants. Une « confiance obligée » se crée donc pour renforcer les mécanismes traditionnels de la mobilisation des ressources financières, mises à la disposition des nouveaux arrivants pour les aider à réussir économiquement.

Dans cet état d’esprit, nous pensons qu’il est temps, loin de toute forme d’hypocrisie ou calcul politique éphémère, que le gouvernement du Québec prenne ses responsabilités et réfléchisse à une nouvelle approche pour mieux prendre en charge cette frange de ses citoyens. Il doit alors exploiter de nouvelles approches, en concertation avec les véritables acteurs de cette communauté, pour mieux cerner ses besoins et élaborer en même temps des stratégies qui prennent en compte l’intégration professionnelle des immigrants.

Voir les résultats du sondage


Références :

  • Godin, J-F. B. Chakib, M. Truong et F. Mahe. 2004. « L’insertion en emploi des travailleurs admis au Québec en vertu de la grille de sélection de 1996 ». Partie 1 : rapport de synthèse, Direction de la population et de la recherche, Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration.
  • Pallard, J. 2004. « Le Québec au miroir de l’immigration magrébine ». Colloque Migration et Transferts Culturels : Maghreb-Canada UNIVERSITE  MOHAMED 1er D’OUJDA.  Faculté des sciences juridiques (Novembre).
  • Coulon, A. et Y. Flückiger. 2000. « Analyse économique de l’intégration de la population étrangère sur le marché suisse du travail ». In : Les défis migratoires, sous la direction de P. Centlivres et I. Girod, Seismo, Coll. Cohésion sociale et pluralisme culturel, Zurich. p. 109-119.
  • Portes, A. 1994. « The New Second Generation ». International Migration Review, 28, 108. Portes, A., et L. Jensen. 1987 « What’s an Ethnic Enclave? The case for Conceptual Clarify ». American Sociology Review, no52, p. 768-771.
  • Portes, A., et M. Zhou. 1993. « The New Second Generation: Segmented Assimilation and its Variants ». Annals of the American Academy of Political and Social Sciences, no. 530, p. 74-96.
  • Portes, A., et R. Bach. 1985. Latin Journey : Cuban and Mexican Immigrants in the United States. Berkeley, University of California Press.

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