Faut-il s’étonner de l’attitude de Benoît XVI envers l’islam et les musulmans?

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éclabousser toutes les obédiences chrétiennes non catholiques, martelant qu’il n’y avait ni vérité ni salut en dehors de l’Église, celle de Rome évidemment!
Ce coup inattendu asséné à l’œcuménisme et à ses artisans devait être suivi d’un appel du pied papal en faveur d’intégristes excommuniés, lefèbvristes et autres membres de la Fraternité Saint-Pie X farouchement hostiles à tout dialogue interreligieux et aux gains en la matière du concile Vatican II.

Une polémique de diversion?
Laissons de côté le débat sur l’universelle et très ancienne instrumentalisation du religieux à des fins politiques et de violence pour rappeler le rôle central de la chrétienté et de la papauté dans l’inquisition, les croisades, la conquête sanglante du monde par les Européens au nom du Christ et les génocides coloniaux…Et que dire de longs siècles de « femme sans âme » et de « peuple juif déicide »? Ne nous attardons pas trop à l’opposition publique de Mgr Ratzinger à l’adhésion de la Turquie à une Union européenne devant absolument préserver, à ses yeux, sa culture chrétienne de ce danger et de l’intrusion arabe qui s’ensuivrait…Passons aussi sur le fait que l’Occident (postchrétien?) ne cesse de se fermer à la foi, et sur le désarroi d’une église de moins en moins en phase avec le peu de fidèles qu’il lui reste pour déplorer ce procédé éculé de diversion externe quand les problèmes internes, ingérables, s’accumulent.

Une tentation islamophobe?
Signalons qu’à peine arrivé au pouvoir, Benoît XVI s’est empressé de relever de ses fonctions le très compétent théologien en charge des relations avec l’islam, le cardinal Michael Fitzgerald, éloigné à la nonciature du Caire, et supprimer le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux pour en fondre les activités dans…celui de la culture!?!

Il n’a pas manqué non plus d’inviter et de recevoir tout aussi vite en 2005, nulle autre qu’Oriana Fallaci, chantre de l’islamophobie des deux côtés de l’Atlantique. Cette journaliste qui vient de décéder, longtemps athée et gauchiste avant de dériver vers le fascisme de la Ligue du Nord italienne et des néo-conservateurs américains, est devenue l’auteure adulée de l’extrême droite raciste qui affiche ouvertement sa haine de l’islam et des musulmans, notamment par ses livres comme La rage et l’orgueil (2002).

Cette série d’événements a culminé avec le fameux discours de Ratisbonne qui rattachait coûte que coûte le christianisme à la raison, laquelle serait refusée par un islam imprégné de violence!!! La référence à l’empereur d’Orient Manuel II Paléologue (fin XIVe – début XVe siècles) est tout aussi contestable et douteuse puisque ce monarque – dont le territoire grugé par les …Turcs, allait s’effondrer quelques années à peine après sa mort avec la prise de Constantinople le 29 mai 1453 – promettait la réunification de l’Église en retour d’une croisade antiturque et antimusulmane de la part des chrétiens d’Occident. Manuel II faisait feu de tout bois turco-musulman pour sauver un empire décadent…En vain, jusqu’à ce qu’il soit déterré de l’histoire par nul autre que le pape.

Un ancrage judéo-chrétien arabophobe?
Faut-il s’étonner des manigances en cours depuis quelques temps déjà au Vatican et à Jérusalem pour la création d’une église hébraïque israélienne qui marginaliserait l’église catholique actuelle qui, en Israël – Palestine, a la triple « tare » d’être arabe, palestinienne et dirigée par le patriarche tout aussi arabo-palestinien de Jérusalem, Mgr Michel Sabbah qu’on veut sacrifier sur l’autel d’une « théologie de la libération »…soutenue à fond à l’époque contre le communisme polonais, mais formellement interdite aux Sud-américains et autres peuples du sud (sous-hommes?) bien plus opprimés? Ne nous offusquons donc pas de l’activisme vatican et de celui des prélats les plus engagés à ce titre comme Mgr George Cottier et l’influent cardinal Jean-Marie Lustiger – un des plus ardents promoteurs d’une église hébraïque israélienne au détriment de celle qui émane des plus vieilles communautés chrétiennes du monde – qui avait déclaré au quotidien Le Monde (18 09 2006) que « déchaîner la vindicte des foules (signifie que) les conditions du dialogue avec l’islam ne sont plus réunies ». À bon entendeur, salut!

Entre interrogations et espoir après le voyage en Turquie
Le pape actuel est trop instruit et trop fin théologien pour méconnaître le concept de « Jihad » et son sens fondamental, de même que la place des Gens du Livre dans la foi et l’histoire musulmanes, pour se hasarder sur le terrain glissant de la place de la raison dans les croyances, et pour se tromper d’époque!

Sommes-nous en train de nous éloigner des avancées du concile Vatican II et des fruits des rencontres d’Assise? Devons-nous nous résoudre à considérer, avec George W. Bush, que l’esprit et le temps des croisades ne sont pas morts ? Et nous résigner à l’opportune fatalité d’un choc des civilisations?

Quelques jours avant son arrivée en Turquie, le Saint-Père s’est même permis de récidiver alors qu’il tentait de s’expliquer depuis le mois de septembre en atténuant la portée de ses propos de Ratisbonne, réaffirmant sa volonté de dialoguer avec l’Islam et les musulmans, avec ouverture …et « fermeté »! Dès lors, se rendait-il en Turquie en se plaçant sur le registre du dialogue ou sur celui de la négociation entre protagonistes?

Si ce voyage en Turquie aura donné à Benoît XVI l’opportunité de mettre quelques pendules à l’heure, tant pour l’œcuménisme que pour les relations avec l’Islam, les mises au point et les vœux de rapprochement, tous en nuances et en petites avancées comme dans une partie d’échecs, laissent des préoccupations en suspens : assistons-nous à une mise en scène bien réfléchie relevant de manœuvres vaticanes? Ou au dur et pénible apprentissage du double métier de pape et de chef d’État? Dieu seul le sait et l’avenir nous le dira. Présumons néanmoins de la bonne foi du pontife.

Qu’il nous soit finalement permis de regretter que Benoît XVI ait manqué une occasion en or, à Byzance/Constantinople/Istanbul, de relancer à la fois son pontificat et la volonté de l’Église d’œuvrer à la paix mondiale. En s’investissant de la puissance symbolique de l’institution qu’il incarne, il aurait pu et dû lancer solennellement un Appel historique de paix et de solidarité humaines à la mesure des incertitudes et des urgences de ce début de siècle, ce qui aurait certainement contribué à ébranler les tentations guerrières et les dérives qui, dans le confort et l’indifférence, rongent notre monde.

Gardons cependant espoir vis-à-vis du Saint-Père et du Vatican tout en nous rappelant tout de même que le dialogue interreligieux ne se vit pas seulement et forcément à un niveau institutionnel élevé. Dieu merci, il se cultive aussi et surtout entre croyants, au sein de petits groupes, et entre individus porteurs de visions différentes du monde – y compris agnostiques et athées – au jour le jour et sans en porter le nom : dans les milieux de travail, avec le voisinage, au hasard des rencontres, dans le respect et l’ouverture à l’autre qui, dans le Coran, la tradition du prophète Mohamed et l’histoire musulmane, sont des obligations de foi entre fils d’Abraham, et plus encore entre descendants d’Adam et Ève.

Au-delà de ce qui peut et qui doit rassembler les croyants, et en particulier de l’immensité du tronc commun monothéiste et des nombreux dénominateurs rassembleurs, il reste les défis que l’humanité a devant elle avec acuité et urgence : pauvreté, inégalités, injustices, violence, guerres, éducation, écologie, etc. Autant d’enjeux communs qui nous interpellent sur une petite planète où nous sommes condamnés à vivre ensemble et où les hommes et femmes de foi ont la possibilité d’apporter un éclairage moral hautement nécessaire à la paix universelle.

Rachid Raffa, Québec

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