L’art du Ricochet

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Qui d’entre nous n’a jamais essayé de prendre un caillou qui traînait et de le lancer pour faire le maximum rebonds sur l’eau. Si le nombre de rebonds dépassait cinq, c’était pour nous l’exploit du jour et une occasion d’épater la galerie !!!

Mais nous sommes tout de même bien loin du record établit par Coleman McGhee en 1992 avec 38 rebonds.

Cependant, comme il ne faut jamais se décourager, voici quelques pistes pour améliorer vos performances :
La pratique du ricochet montre qu’il faut lancer le caillou avec une vitesse horizontale assez élevée, en l’inclinant légèrement vers l’arrière. Si le lancer est effectué au niveau de la surface de l’eau, le caillou glissera quelques instants sur l’eau, tel un skieur de ski nautique, ralentira, puis sombrera. C’est une force de portance similaire à celle qui s’exerce sur une aile d’avion qui permet la sustentation, force proportionnelle au produit de la masse volumique de l’eau par la surface en contact de l’objet avec l’eau et par le carré de la vitesse. En exprimant que cette force de portance est égale au poids, on détermine l’ordre de grandeur de la vitesse horizontale minimale qui permet la sustentation d’un objet sur l’eau.

Qu’en est-il pour un caillou, assez lourd, de 200 grammes et dont la forme est celle d’un disque aplati de 5 centimètres de rayon. L’évaluation donne une vitesse minimale de seulement 2.5 kilomètres à l’heure. Si la vitesse est plus grande, la force de portance devient supérieure au poids et le caillou rebondit. Lorsque la pierre, légèrement inclinée, affleure la surface de l’eau, seul son bord postérieur est en contact. La surface de contact, et donc la force de sustentation, est très faible. À mesure que la pierre inclinée s’enfonce dans l’eau, la surface de contact augmente et la portance aussi : la force de portance est ainsi proportionnelle à l’enfoncement de la pierre dans l’eau. L’eau se comporte ainsi comme un ressort dont la raideur est proportionnelle au carrée de la vitesse horizontale. Rebondissant sur ce ressort, le galet repart alors en sens inverse pour rejaillir de l’eau.

Lorsque la vitesse est grande, ce mécanisme est efficace pour faire rebondir n’importe quel objet sur l’eau. Les troupes alliées ont utilisé cette propriété lors de la Seconde Guerre mondiale pour détruire un barrage sur la rivière Mohne dans la vallée de la Rhur. Comme la destruction du barrage nécessitait une explosion en profondeur, l’ingénieur anglais Barnes Wallis a eu comme idée de faire ricocher des bombes cylindriques sur la surface de la retenue jusqu’à la paroi du barrage. Ces bombes étaient lâchées à une hauteur de 18 mètres par des avions volant à une vitesse de 400 kilomètres à l’heure. D’une masse de plus de quatre tonnes, ces bombes rebondissaient plusieurs fois sur l’eau, en s’enfonçant à peine tant le ressort hydrodynamique était puissant. Elles passaient au-dessus des filets de protection et parcourraient ainsi les quelques 400 mètres les séparant du barrage. Buttant contre la paroi, elles coulaient alors le long du barrage et explosaient quand elles atteignaient le fond.

Reprenons à présent notre caillou, il a rebondi grâce au ressort hydrodynamique, mais à présent le défi est de s’assurer que les rebonds ultérieurs se passent dans les mêmes conditions. Durant le rebond, la force hydrodynamique s’exerce essentiellement sur la partie postérieure de la pierre et cette dernière aura donc tendance à basculer vers l’avant. Pour éviter ce mouvement, le lanceur met alors à profit l’effet gyroscopique qui peut se résumer ainsi : lorsqu’un objet est en rotation rapide, il est plus difficile de le faire changer d’orientation que lorsqu’il ne tourne pas.

Résumons à présent un peu les ingrédients pour un bon lancer : une vitesse horizontale la plus élevée possible, un caillou incliné légèrement vers l’arrière (angle optimal 20 degrés [voir l’article dans Nature], confirmé par Nagahiro et Hayakawa), un petit mouvement de rotation et un lancer à plat d’une hauteur convenablement choisie.

Par Lyes KADEM PhD, Eng


Références :

• Boquet (2003) The physics of stone skipping. Am. J. Phys. 71 (2): 150-155.

• Clanet et al. (2004) Secrets of successful stone-skipping. Nature (427): 29.
• Rosellini et al. (2005) Skipping stones. JFM (543): 137-146.

• Nagahiro and Hayakawa (2005) Theoretical and Numerical Approach to “Magic Angle” of Stone Skipping.

• Courty et Kierlik. Le monde a ses raisons. Belin – Pour la Sience

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