La place du sourire dans notre société

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Il arrive aussi à l’être humain le plus jovial de ne pas être en mesure de sourire par peine, contrariété, douleur ou colère et, dès lors, les traits du visage se durcissent, transmettant un message de fermeture qui n’invite guère à l’échange.
Par ailleurs, on peut attribuer la réticence à afficher un sourire face à une personne inconnue à des comportements collectifs issus de codes socioculturels et de valeurs comme la pudeur. Il arrive que celle-ci aille au-delà de la pudeur naturelle de base inscrite en chaque individu; elle se fonde alors sur l’obligation de ne pas brouiller les rapports entre personnes étrangères l’une à l’autre – surtout quand elles sont de sexes opposés – et, par conséquent, d’éviter mésinterprétation, signal ou suggestion à explorer quoi que ce soit au-delà du croisement de regards supposés innocents. À cet égard, l’absence de sourire devient masque pudique ou parade protectrice, particulièrement de la part de femmes qui, dans de nombreuses collectivités humaines, doivent se prémunir de tout dérapage pouvant avoir des conséquences indésirables pour la dignité personnelle et l’honneur au regard de la respectabilité sociale dominante.

La valeur du sourire

Qui peut rester insensible à un sourire, que ce dernier soit sincère et gratuit, ou même intéressé? Plus encore que le rire, le sourire est le propre de l’homme. Fort probablement antérieur à la parole et à la poignée de mains, le sourire est la clé universelle la plus immédiate, celle qui ouvre les portes entre les humains et leur rappelle leur unité originelle dans leur riche diversité. Au-delà de la dynamique faciale des muscles zygomatiques propre à chacun, le sourire est et reste la langue humaine commune par excellence, ne nécessitant aucune traduction; il éclaire le visage de l’autre qui devient alors notre alter ego, miroir et reflet de nous-mêmes. Une telle expérience, si courante au point de nous paraître banale, fait pourtant que « l’autre » n’est plus tout à fait « autre ». Antithèse du visage hermétique et du rictus exprimant l’indifférence, la fermeture, l’hostilité ou la souffrance, le sourire demeure le pont premier et privilégié liant les êtres humains, pour peu que l’on s’attarde à reconnaître l’intensité du bien-être qui nous saisit parfois et qui nous rattache – dans l’échange de regards souriants – à nos frères et sœurs terriens au-delà des différences et des divergences! À cet égard, le sourire sincère est à la fois une salutation, un message d’ouverture et un geste de bienveillance qui, de plus, provoque la plupart du temps une contrepartie immédiate de même valeur, voire de plus grande intensité, les êtres concernés étant, pour un instant, pris dans une sorte de fluide englobant et tellement bienfaisant, surtout quand le sourire s’accompagne d’un salut ou d’une bonne parole.

Bien sûr, le sourire peut être satisfait, suffisant, moqueur, sarcastique, caustique, méprisant, ravageur, cruel ou carrément béat et imbécile… ou bien séducteur, aguichant, flatteur, manipulateur; il lui arrive d’être de convenance et de manquer partiellement ou totalement de sincérité au point de devenir hypocrite. Cela remet-il en cause pour autant la valeur de cette particularité la plus commune, inscrite dans les gênes de tous les êtres humains? Certes non car, jouant sur le registre de son libre-arbitre, l’homme s’est donné la capacité de transcender cette aptitude naturelle et universelle, d’y déroger, voire de la bafouer en la détournant de son sens premier. Le caractère éphémère du sourire et le fait qu’il puisse être vide de sens au point de devenir un masque trompeur ne doit pas en occulter la valeur intrinsèque compte tenu de la responsabilité de celles et ceux qui sont tentés d’en abuser. En un mot, si méfiance il doit y avoir, elle devrait concerner les personnes, le sourire demeurant une faculté, une valeur, voire une vertu et une nécessité qui arrondit les angles souvent tranchants des rapports interpersonnels et permet ainsi d’entretenir et de renforcer un indispensable vivre-ensemble. Thérapies innées, le sourire et son frère sonore, le rire permettent d’abaisser instantanément nos tensions et celles des autres, offrant inlassablement un nombre infini d’espaces de dialogue et de rencontre.

Vive le sourire des gens d’ici!

Merci à la majorité des Québécoises et des Québécois pour tous ces sourires qui nous entourent et pour cette facilité si naturelle qui permet d’éclairer leur visage et de capter notre attention affective dans d’innombrables petits moments de rapprochement, voire de communion. Les personnes originaires de sociétés où le sourire n’est pas distribué à longueur de journée, surtout entre inconnus, sont souvent déconcertées par cette faculté qui imprègne et facilite les rapports sociaux. Elles sont même tentées d’y voir le réflexe léger, banalisé et sans trop de valeur d’un conformisme socioculturel car, pour elles, le sourire se mérite et son usage ne devrait être que parcimonieux… Simples différences culturelles? – Fort probablement. Mais tout le monde gagnerait, à mon humble avis, à réhabiliter le sourire, à l’intégrer dans la vie quotidienne et à ainsi faire comme la majorité de nos concitoyens; en effet, en plus de ne rien coûter, un sourire est presque toujours perçu comme beau et avenant! Dans une société de consommation qui distant les rapports sociaux et qui privilégie le « moi », tâchons de préserver le sourire et de promouvoir les sourires dont l’écrasante majorité s’inscrit dans un réel savoir-vivre, dans la gratuité du geste et dans une certaine ouverture bienveillante.

Cultivons le sourire!

Des études sérieuses ayant démontré que l’on obtient plus d’écoute au téléphone quand on sourit à son interlocuteur, on n’omet pas d’inciter vendeurs et solliciteurs à en faire usage de visu ou à distance…Mais, au-delà d’un tel recours utilitariste de nature mercantiliste, revenons à l’essentiel en évoquant un moment fort, à savoir la joie, voire le bonheur qui s’empare de chaque être humain au moindre sourire d’un bébé! Y a-t-il quelque chose de plus spontané, de plus doux, de plus attendrissant, de plus merveilleux et de plus fascinant? Comment ne pas y voir un instant de félicité, un véritable don et, pour le croyant, une bénédiction?

Le croyant que je suis en est d’autant plus convaincu qu’il se rappelle avec émotion de paroles du prophète Mohamed considérant le sourire comme la moindre des offrandes et un acte minimal de bonté vis-à-vis d’autrui, obligations ancrées dans la foi. Et que dire du sourire contemplatif des mystiques de toutes obédiences religieuses?! Recevoir un sourire est touchant; en donner est gratifiant, l’échange étant si apaisant! Oui, le sourire est une des clés de la paix intérieure et de celle qui doit présider aux rapports humains.

Avec un sourire en guise de vœux sincères de paix pour Noël, l’Aïd al-Adha et le Nouvel An!

Rachid Raffa,
Québec

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