Éléments d’information sur la laïcité : Plaidoyer pour une laïcité

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Un concept et une réalité typiquement français

De manière succincte, la laïcité consacre la neutralité de l’État et de l’ensemble des institutions publiques vis-à-vis des religions et des cultes ont il garantit le libre exercice, sans discrimination. Cela se traduit donc par une séparation du politique et du religieux, l’État ne se mêlant pas du culte et les églises, organismes et associations religieuses n’exerçant pas de pression sur les institutions et les autorités publiques. La laïcité découle nécessairement d’une volonté politique qui se traduit par une proclamation officielle de type légal (loi), voire constitutionnel (loi fondamentale ou suprême),  comme en France

Le terme « laïcité » est propre à la langue, à la culture historique et au droit français et ce, exclusivement, car aucune autre langue ne dispose d’un vocable équivalent. En anglais, par exemple, il n’existe en la matière que le terme « secularism » dont la signification est bien différente comme expliqué brièvement ci-dessous. En langue arabe également, on a du mal à proposer un néologisme reflétant exactement ce concept qui demeure étranger à la plupart des nations du fait qu’il s’agit d’une spécificité de la France.

L’individu ne peut pas être qualifié de « laïque »; il en est de même de la société, celle-ci ne pouvant être que sécularisée. Seul l’État et des institutions publiques peuvent se proclamer laïques. Une confusion sémantique persiste cependant du fait qu’à côté de l’adjectif « laïque », on trouve le mot « laïc » qui désigne une personne qui ne fait pas partie du clergé. L’absence de clergé en islam, du moins au sein de la majorité sunnite, rend tout recours au vocable « laïc » non avenu.

Il y a lieu à ce niveau de relativiser la perception d’absolu censée caractériser la « laïcité à la française », ou « laïcité  fermée » qui tente tellement de nombreux Québécois. En effet, l’État français prend en charge l’entretien des lieux de culte nationalisés depuis la loi de séparation de l’église et de l’État de 1909; il finance grassement les écoles privées, très majoritairement chrétiennes, tant au niveau central que sur le plan régional, voire municipal; il maintient des aumôniers dans les armées, les hôpitaux et les prisons; il donne congé pour les seules fêtes chrétiennes…La liste est longue et permet de contrer les « intégristes de la laïcité » qui sévissent en France, avec leur inévitable influence sur le Québec.

Il est essentiel de distinguer la sécularisation de la laïcité car la première est une réalité  sociologique qui illustre le recul du religieux et de la pratique religieuse dans la population, comme c’est le cas en Occident en général et au Québec en particulier. Ici,  la sécularisation de la société – réalité évidente – n’a pas encore abouti à une forme de laïcité de l’État, exception faite de l’enseignement public qui a été déconfessionnalisé.

Mythes et embûches attachés au concept de laïcité
  • La confusion qui persiste au Québec entre ces deux concepts cause des incompréhensions et des non-sens non négligeables du fait qu’une partie de la société n’hésite pas à transférer sa sécularisation sur un État qui n’est pas encore laïque au-delà de l’exception signalée ci-dessus et qui concerne la fin de  l’enseignement religieux catholique et protestant, laissant place à un cours obligatoire d’éthique et de culture religieuse (ECR). Ce dernier n’a pas pour but une transmission de la foi d’une ou de plusieurs  religions; il se distingue par le caractère informatif et l’approche culturelle des religions, avec un accent particulier sur l’héritage judéo-chrétien qui a profondément marqué le Québec.
  • Les musulmans doivent absolument se débarrasser d’une fausse croyance qui assimile laïcité et athéisme, le néologisme « La Diniya » ayant malheureusement marqué les esprits Rien de plus faux car la neutralité de l’État n’a rien d’hostile envers le religieux qui est libre de s’organiser comme il l’entend, bien évidemment dans le respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs. En outre, le fait qu’un État soit laïque ne signifie pas du tout qu’il prône l’athéisme; il se contente d’être neutre, de ne pas intervenir dans les affaires religieuses et de traiter tous les croyants – et les non-croyants – sur le même pied.
  • Les musulmans d’ici n’ont pas à redouter la laïcité. Bien au contraire, ils devraient la considérer comme une chance  pour eux et pour les autres minorités religieuses dont la liberté est assurée avec équité. Il y a lieu de rappeler que la loi de 1905 a été des plus bénéfiques pour les minorités protestante et juive de France
  • La Turquie n’a rien d’un État laïque; le cas turc constitue l’antithèse même de la  théocratie (gouvernement par des religieux)  puisque tout le champ religieux, y compris pour la majorité Sunnite, est totalement verrouillé et étroitement contrôlé par l’État. Ainsi, des milliers de fonctionnaires gardent sous haute surveillance les mosquées, les confréries et l’exercice du culte, incluant les prêches (Khotba)  prononcés à travers le pays et qui proviennent du gouvernement, lequel rémunère les imams et autres officiers du culte.
  • Le reproche répété aux États musulmans d’avoir proclamé officiellement  l’islam comme religion d’État dénote un problème chez de nombreux Occidentaux qui s’adonnent allègrement au réflexe du « deux poids, deux mesures ». Ils feignent d’ignorer que de nombreux pays font de même  avec la religion chrétienne comme en Scandinavie ou en Grande Bretagne où, de surcroît, la Reine d’Angleterre est le chef de l’église anglicane. Un autre exemple concerne l’Argentine où le président de la république doit obligatoirement être de religion catholique (ce qui avait forcé à l’époque Carlos Menem à renoncer à l’islam pour exercer la magistrature suprême).
  • En dépit de la sécularisation de la société, particulièrement au Québec, ni le Canada, ni le Québec ne sont des États laïques, même si on y vit, de fait et grâce aux Chartes des droits et libertés fédérale et provinciale, une certaine neutralité des pouvoirs publics et la non-discrimination envers l’exercice d’une foi quelconque. Le préambule de la Constitution, proclame d’ailleurs la « suprématie de Dieu ». Enfin, outre le domaine scolaire évoqué ci-dessus, le Québec ne s’est doté d’aucun texte légal affirmant la laïcité de l’État.
  • Il est utile de rappeler que la neutralité de l’État est relative puisque ce dernier finance les écoles privées religieuses et il  viole lui-même la loi en tolérant l’existence d’écoles chrétiennes clandestines qui échappent à tout contrôle du ministère de l’Éducation (MEQ). Toujours en violation  de la loi, ce dernier continue à subventionner des écoles privées juives  qui refusent de se conformer au programme obligatoire de ce département ministériel, dédiant les fonds publics à l’éducation religieuse presqu’exclusivement. L’autre exemple à citer est la « sous-traitance », il y a de nombreuses années, par Immigration Québec  au profit du Congrès juif canadien, de la sélection de candidats à l’immigration, de religion israélite, provenant d’Argentine et d’ex-républiques de l’Union soviétique. Enfin, le parti pris de l’Assemblée nationale – qui avait voté à l’unanimité  une motion condamnant l’arbitrage musulman en matière familiale – constitue une discrimination à l’égard des musulmans puisque ils étaient les seuls visés, sachant, de surcroît  qu’ils n’avaient rien demandé, que la question se posait uniquement en Ontario, ne concernant pas du tout le Québec où le Code civil  interdit de toutes les façons, expressément, toute forme d’arbitrage familial, de nature religieuse ou autre. À cet égard, les deux grands partis ont manqué de jugement et la classe politique québécoise au grand complet aura ostracisé indûment et impunément les citoyens de religion musulmane qui se sentent poussés vers un ghetto dont ils ne veulent pourtant pas.
Conteste actuel

Durant la présente campagne électorale, le Parti Québécois a délibérément recruté une candidate qui se dit athée et qui affiche une islamophobie primaire et dévastatrice « à contre Coran ». De plus, il rallume ces vieux fonds  de commerce que sont la langue française (soudainement en grand danger!) et la fièvre identitaire, sur le dos des minorités du Québec, essentiellement les musulmans. Cette approche démagogique, populiste et électoraliste d’un renforcement de la Charte de la langue française et de l’annonce de futures  chartes (de la laïcité; de la citoyenneté), outre leur caractère illégal car discriminatoire au regard des deux chartes des droits et libertés, peuvent creuser des fossés qui retardent l’avènement d’un meilleur vivre-ensemble et d’une société plus inclusive des minorités.

Il est temps que les musulmans se mobilisent comme citoyens, dans le cadre de la loi, s’investissent dans les partis politiques de leur choix et prennent la parole pour qu’on cesse de les ostraciser – en ce pays de droit  – pour se faire du capital politique et médiatique. Ils doivent refuser très fermement de servir de bouc émissaire ou de faire-valoir au gré des humeurs électoralistes ou d’événements internationaux sur lesquels ils n’ont aucune prise.

Il y a urgence en la demeure et il n’est pas réaliste  d’attendre que le cours d’ECR  suscite le degré de tolérance tant attendu chez les générations à venir pour la simple raison que l’islamophobie  et la discrimination (en emploi essentiellement) se poursuivent impunément et dans l’indifférence des pouvoirs publics. En effet, en démocratie libérale, le rapport de forces reste déterminant, les musulmans n’ont pas d’autre choix que de s’organiser pour se faire entendre et respecter, quitte à constituer un lobby  destiné à les défendre contre des attaques courantes devenues banales et une discrimination qui, malheureusement, sont bien plus palpables au Québec qu’ailleurs au Canada. Le chômage des Maghrébins du Québec, restera, à cet égard, un scandale ignoré des élites  tant que le rapport de forces politique et électoral n’aura pas exprimé, plus que le potentiel actuel plus ou moins léthargique, la force et la « valeur » numériques et qualitatives des musulmans sur l’échiquier canadien et québécois.

Enfin, il faut que les musulmans du Québec rétablissent les faits sur la question lancinante de l’accommodement raisonnable (AR) qui leur a coûté si cher sur le plan médiatique et  dans l’opinion publique, suscitant des réactions racistes, y compris durant les audiences publiques de la Commission Bouchard-Taylor. L’ensemble des Québécoises et des Québécoises doit savoir que l’écrasante majorité des demandes d’AR pour motifs religieux ne proviennent ni de Juifs, ni de Sikhs, ni de musulmans, mais de bons Québécois de souche. Elles sont formulées par des groupes chrétiens évangéliques et catholiques fondamentalistes…Sans que cela pose problème ou scandale! Les sceptiques auront le loisir de consulter le site Internet de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec pour en être convaincus.

Quelle laïcité?

Le paragraphe précédent illustre non seulement la confusion entretenue autour de cette question ressassée ad nauseam pour susciter régulièrement des débats stériles sur l’identité, préjudiciables aux minorités les plus vulnérables, mais aussi et surtout une propension à se doter d’une « laïcité à géométrie variable ». L’expression est de la brillante intellectuelle Rachida Azdouz, de l’université de Montréal, qui dénonce « une laïcité qui convoque et révoque le religieux au gré des circonstances et à  la tête du client… » (Le Devoir, Montréal, le 21 août 2012.)

Confusion des genres, cartes mêlées, disputes  sur la place du religieux dans l’espace public, « crises » identitaires à répétition, « importation » de France de situations et de modèles pourtant inadaptés …Tout cela ne peut pas faire réellement débat. Des élites s’en donnent à cœur joie pour des raisons idéologiques et psychosociologiques qui s’alimentent à l’obsession du danger de la perte d’une identité québécoise « pure laine » ou « de souche » faisant face (après la période de la « mer anglophone ») à une diversité paradoxalement perçue comme un mal nécessaire – à contenir – De ce fait, est occulté l’échec relatif de politiques québécoises visant l’intégration de nombreux immigrants, et au premier chef les Maghrébins, premières victimes du chômage au Québec, en dépit de leurs qualifications et de leur maîtrise du français.

Un contexte aussi complexe qu’émotif et confus – non dénué d’islamophobie – ne peut servir de terreau fertile à l’émergence, au Québec, d’un vrai débat de société sur la laïcité dont la nature oscille,  au gré des intérêts (réels ou supposés) des leaders d’opinion et des enjeux électoraux, grosso modo entre « laïcité ouverte » et « laïcité fermée » à la française dont on a précisé ci-haut  les limites.

Si la confusion, la mauvaise foi et l’irresponsabilité des élites persistent, le Québec risque fort de se doter d’une « laïcité d’incompétence », selon la formule du philosophe français Régis Debray qui prône une « laïcité d’intelligence » destinée à intégrer et non à  exclure, et  pour laquelle les musulmans d’ici auraient intérêt à  militer, au sein de la culture commune du Québec.

Pour l’instant, on en est loin…

Touhami Rachid RAFFA
Québec, le 23 août 2012

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