Dossier complet sur l’accommodement raisonnable

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La fin de l’année 2006 et le début de 2007 ont été marqués par une tempête d’une nature et d’une ampleur inconnues à ce jour et qui ont fortement secoué le Québec, une tempête dont les dégâts sont considérables et dont la société, à la fois dans son ensemble et dans la diversité de ses composantes, semble vouée à en subir les contrecoups durant un certain temps encore. Salamotreal vous présente un dossier complet sur toute la question de l’accommodement raisonnable.

Leçons d’une manipulation accentuant les divisions au sein de la société québécoise
La fin de l’année 2006 et le début de 2007 ont été marqués par une tempête d’une nature et d’une ampleur inconnues à ce jour et qui ont fortement secoué le Québec, une tempête dont les dégâts sont considérables et dont la société, à la fois dans son ensemble et dans la diversité de ses composantes, semble vouée à en subir les contrecoups durant un certain temps encore.
La rectitude politique, la fête de Noël et l’accommodement raisonnable
Surfant littéralement sur une vague qui remonte à plusieurs années déjà et qui impose un nouveau langage public aseptisé puisant aux sources d’une rectitude politique contestable – celle là même qui considère, par exemple, comme mal entendants et mal voyants même les personnes affligées de surdité ou de cécité totales – les politiciens se gardent désormais de souhaiter « joyeux Noël » à la population, sans autre explication. Patrimoine Canada, ce grand ministère fédéral gardien de la culture, du bilinguisme et du multiculturalisme canadiens, a pris cette fois-ci la responsabilité de substituer « Bonne fête du solstice d’hiver » aux vœux traditionnels de Noël…Laissant ainsi courir la rumeur, dans une opinion publique majoritairement de confession ou de culture chrétienne, qu’un tel changement découlait de revendications répétées de minorités religieuses non chrétiennes heurtées dans leur foi! L’incident du sapin de Noël d’un palais de justice de Toronto, dû à l’attitude déplorable d’une juge de religion juive, a contribué à consolider une telle rumeur, en dépit de la condamnation de cette magistrate par le Congrès juif canadien. De nombreuses autres institutions et organisations religieuses, y compris musulmanes, n’ont pas manqué, en vain hélas, de se dissocier totalement de cette vague, aussi mystérieuse qu’injustifiable, qui tente de faire disparaître les fêtes religieuses chrétiennes du discours et de l’espace publics. La polémique n’a pas cessé de s’enfler, puisant à même un très regrettable amalgame surmédiatisé, liant faussement cette question à l’accommodement raisonnable et au laxisme qu’on veut absolument y coller. Lire la suite en cliquant sur les pages ci dessous.

Les vitres teintées du gymnase d’un YWCA et l’accommodement raisonnable Une autre « révélation » hypermédiatisée allait émerger bien vite dans la foulée de la controverse sur Noël, aggravant une atmosphère de plus en plus survoltée. Il s’agit de l’entente intervenue entre une école privée juive d’Outremont et le voisin qui lui fait face, un YWCA, en vertu de laquelle les fenêtres du gymnase de cette institution communautaire ont été teintées à la demande et aux frais de la première, afin d’empêcher les élèves de sexe masculin de jeter des regards sur les femmes se livrant à des activités sportives. Là encore – au-delà du jugement que les uns et les autres se permettent de porter sur l’éducation de ces garçons et sur la lutte pour les droits des femmes – cet arrangement privé qui ne concerne en fait que les parties en cause, a fait la une sous l’empire de ce qu’on a prétendu indûment être le « débat sur l’accommodement raisonnable » et sur les excès intolérables qui profiteraient à des minorités suspectées de ne pas vouloir s’intégrer. Insensiblement, on en est arrivé très vite à distiller au sein de l’opinion publique l’idée que l’accommodement raisonnable se réduisait à une série de concessions abusives et intolérables accordées à des groupes religieux minoritaires au détriment de la majorité québécoise de souche. Le silence coupable des politiciens et des institutions responsables Loin de s’impliquer dans un « débat » entamé sur une confusion des genres, des faussetés et des amalgames relevant à la fois de l’incompétence et de la mauvaise foi, les pouvoirs publics se sont gardés de dénoncer une dangereuse manipulation de l’opinion publique majoritaire qui a eu pour déplorable résultat de faire peur à celle-ci et de réactiver un vieux réflexe qui avait longtemps affecté la société québécoise dans le passé, connu sous l’appellation de « mentalité d’assiégé ». Désormais, de nombreux Québécois expriment ouvertement la crainte de perdre des valeurs fondamentales, se sentant de plus en plus marginalisés chez eux, contrôlant de moins en moins leur avenir… Bien plus, le silence inhabituel de la Commission des droits de la personne a été fort remarqué. Il y a lieu de s’interroger sur les causes réelles de l’absence d’intervention publique d’une institution qui est concernée au premier chef par un acharnement médiatique qui a réussi facilement à discréditer l’accommodement raisonnable, sachant la compétence exceptionnelle de cette institution en la matière au sens légal comme dans l’acception commune du terme. Certains citoyens n’hésitent pas à se demander si la Commission – et il en est de même du Secrétariat des affaires religieuses du ministère de l’Éducation et du Conseil des relations interculturelles rattaché au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles – n’a pas été empêchée de rétablir les faits et de dissocier ainsi l’accommodement raisonnable, dont peut bénéficier un individu dans certaines circonstances, d’un débat qui porte d’abord et avant tout sur un nécessaire vivre-ensemble collectif et sur la place et le statut des minorités au Québec. Un sondage mené sur une opinion publique manipulée et surchaufféeC’est dans une telle atmosphère survoltée et entretenue par des contresens et une bonne dose d’incompétence de la part de faiseurs d’opinion qui ignorent même la nature, le contenu, la valeur et la portée de l’accommodement raisonnable qu’un groupe de médias a lancé une enquête- sondage sur le racisme et la tolérance des Québécois de souche et des « autres », confrontant ainsi ces deux composantes de la société. Il n’est donc pas étonnant que, dans de telles circonstances, le sondage révèle une majorité de Québécois qui s’affirment racistes à divers degrés, ce qui contredit une réalité bien plus nuancée. Cela reviendrait à considérer comme tout à fait normale la tension artérielle d’un individu prise non pas au repos, mais après que ce dernier, essoufflé et apeuré, ait couru 500 mètres de toutes ses forces pour échapper à un agresseur! Soumises à un stress certain, la majorité de souche et les minorités ont réagi non pas en fonction de la réalité telle qu’ils la vivent, mais d’émotions attisées qui mettent à nu l’état d’ignorance de « l’autre », mère de suspicion et de peurs, creuset de l’intolérance, de la xénophobie et même du racisme. Si le Québec n’échappe pas à ce mal universel du racisme qui ronge toutes le sociétés humaines, si la discrimination en emploi y constitue une réalité qui frappe durement les communautés les plus vulnérables, à savoir les Arabo-Berbères musulmans et les Noirs, et si l’arabophobie et l’islamophobie y sont bien vivantes comme partout ailleurs en Occident, exacerbées depuis le 11 septembre 2001, si une commission parlementaire s’est penchée cet automne sur le racisme, cela ne fait pas de la majorité des Québécoises et des Québécois des racistes. En bref, le résultat divulgué est loin de refléter le degré de racisme des Québécois dont certains ignorent d’ailleurs la définition de ce terrible et sinistre vocable et les nuances qui le démarquent d’autres maux que sont la xénophobie et l’intolérance. Un sondage contradictoire qui ne s’embarrasse pas de fausses conclusions La dernière partie révélée de ce sondage qui a suscité tant d’intérêt au Québec, voire trop d’intérêt, donnant lieu à des records d’écoute, a trait notamment à l’obligation de respecter les lois et règlements en vigueur, comme si la majorité de la population pouvait se considérer hors-la-loi et contre la vertu! Le scandale – c’est le moins qu’on puisse dire – réside dans l’interprétation faite de la réponse à cette question sur le respect de la légalité; en effet, contre toute attente, le sondeur en chef de la firme retenue a eu l’outrecuidance d’en déduire que la majorité des Québécois de souche et des membres des communautés culturelles rejette l’accommodement raisonnable! Au-delà du caractère totalement non scientifique d’une telle lecture, il y a là une manipulation manifeste et éhontée des résultats auxquels on fait dire tout autre chose puisque la question n’avait aucun lien direct ou indirect avec l’accommodement raisonnable! Bien plus, cette interprétation place derechef l’accommodement raisonnable hors du champ de la légalité, ce qui constitue à tout le moins un non sens et un mensonge! En effet, durant tout ce cirque médiatique, on n’a pas assez répété à la population que l’accommodement raisonnable fait partie intégrante de notre arsenal juridique comme on le verra ci-dessous. De plus, comment concilier le fait qu’une majorité de Québécois se déclare, dans le même sondage, à la fois raciste et très – voire trop – tolérante vis-à-vis des membres des communautés culturelles? La cécité des sondeurs, de leurs donneurs d’ordre et de la plupart des médias à cet égard a donc contribué à alimenter le débat en le dénaturant de fond en comble, dans un quasi unanimisme regrettable, et toujours dans l’indifférence des pouvoirs publics. La récupération politicienne par un parti populiste de droite, marginal sur l’échiquier politique québécois Au lieu de dénoncer l’inanité du sondage, le premier ministre du Québec n’a rompu le silence que pour nier le fait que les Québécois étaient racistes, se plaçant ainsi en porte-à-faux avec une réalité qui mérite d’être reconnue et en même temps fortement nuancée, et avec les initiatives de son propre gouvernement qui se sont traduites, notamment, par la tenue d’une Commission parlementaire sur le racisme à l’automne 2006, et dont les travaux doivent alimenter l’élaboration d’une prochaine politique sur le racisme. Le champ politique ayant été laissé vacant par les grands partis durant ce débat mal enclenché, il a alors été occupé de la manière la plus opportuniste par Mario Dumont et son Action démocratique du Québec (ADQ), marginale dans l’échiquier politique et qui risquait de disparaître totalement lors des prochaines élections législatives provinciales, faute de vision et de programme crédibles. Sans faire la moindre référence au racisme et à l’exclusion qui en découle, l’ADQ et son chef ont réussi à attiser chez une majorité de Québécois de souche le vieux réflexe d’assiégé. Le 16 janvier 2007, dans une pompeuse Lettre ouverte aux Québécois intitulée Une constitution québécoise pour encadrer les « accommodements raisonnables » – Pour en finir avec le vieux réflexe de minoritaire, Mario Dumont ne se prive pas de faussetés et d’omissions : Faussetés : * « Un débat qui a largement dépassé l’habituel cercle politique… » : Le débat n’a malheureusement pas eu lieu dans l’arène politique, les politiciens du Parti libéral au pouvoir et ceux du Parti québécois s’étant retranchés dans un silence irresponsable. * « Un débat de fond dans la société québécoise… » : Le débat s’est limité à une manipulation médiatique et à la récupération politiquement très opportuniste par une ADQ en perte de vitesse. * « Des dirigeants d’organismes publics qui choisissent de mettre de côté nos propres valeurs communes pour satisfaire des demandes formulées par des représentants de communautés » : Affirmation mensongère; même si certains accommodements peuvent paraître inadéquats et inacceptables, cela ne met aucune valeur commune en péril. De plus, l’accommodement raisonnable concerne l’individu et non les groupes ou les communautés. * « Une constitution pour encadrer l’accommodement raisonnable » : Même les dictatures n’oseraient pas recourir à une clause constitutionnelle pour si peu, sachant que la constitution d’un État, loi fondamentale de laquelle découlent toutes les autres qui doivent lui demeurer conformes, définit l’encadrement de l’État dans ses valeurs et règles générales et essentielles. On ne peut y avoir recours pour régler les questions de litiges entre parties. * « Le devoir de fournir à nos dirigeants d’organismes publics un cadre de référence et une direction claire en matière d’accommodement raisonnable » : L’essence même de l’accommodement raisonnable réside dans des solutions au cas par cas, ce qui rend difficile un encadrement qui soit à la fois rigoureux et d’application générale et uniforme. * « Cette tendance à s’effacer collectivement, qui est issue de ce vieux réflexe de minoritaire » : Constat relevant du fantasme et de la manipulation qui s’alimentent à un vieux fond qu’on croyait révolu, celui du complexe d’infériorité par rapport à la minorité dominante anglo-québécoise et à la majorité anglophone du Canada. Il s’agit aussi d’une manière minable et dangereuse de soulever une frilosité identitaire au sein de la majorité. * « De souche européenne…» : Volonté de dissocier le « nous » d’origine européenne des « autres » que sont les allophones qu’on ne cesse de mettre au défi de s’intégrer à la majorité, et même les autochtones que Mario Dumont omet de mentionner… * « Ces valeurs que sont l’égalité entre les individus, la liberté d’expression, la justice, le respect, la solidarité, la paix et notre attachement fondamental envers la démocratie méritent d’être défendues » : Perfidie poussée à l’extrême et prétendant effrontément que lesdites valeurs sont mises en péril par des demandes d’accommodements de la part de groupes minoritaires. En bref, pour l’ADQ, la patrie est en danger et son chef lance un appel à la mobilisation générale pour la sauver en légiférant pour restreindre le recours à l’accommodement raisonnable devenu la source de nombreux attaques contre la nation québécoise! Enfin, Mario Dumont ne considère pas la Charte des droits et libertés du Québec comme faisant partie intégrante des dites valeurs qu’il s’est risqué à énumérer pour en rappeler l’existence, au cas où les Québécois seraient devenus amnésiques… Omissions : * Pas un mot sur le racisme présent dans la société, ni sur le sondage troublant qui vient de sortir à ce sujet. * Aucune référence à la discrimination en emploi qui ravage certaines communautés ethniques et religieuses, surtout les Arabo-Berbères musulmans, et en matière de logement. * Rien sur le peu de sensibilisation à la diversité au sein de la société, et pas la moindre allusion à une indispensable lutte contre le racisme au Québec. * L’ADQ et son chef n’ont jugé ni utile ni nécessaire, l’automne dernier, de participer à la moindre séance de la Commission parlementaire sur le racisme. * Le mot « diversité » – qui reflète pourtant une réalité des plus palpables de notre société – n’est pas mentionné une seule fois dans cette « Lettre ouverte aux Québécois », l’identité et la citoyenneté québécoises étant probablement confinées aux ornières traditionnelles (« pure laine et de souche »), sous couvert de valeurs communes dont on laisse pernicieusement croire qu’elles ne sont pas partagées par les minorités. * Pas la moindre allusion non plus à la Charte des droits et libertés qui reste tout de même, n’en déplaise à Mario Dumont et aux autres tenants de la droite conservatrice, un des plus grands acquis de notre société démocratique et de l’État de droit. Pour réhabiliter l’accommodement raisonnable aux yeux de la majorité des citoyens Mis à mal volontairement, par ignorance ou par incompétence, l’accommodement raisonnable (AR) mérite d’être explicité afin de rétablir la vérité et éviter ainsi les graves malentendus du débat en cours. * L’AR est un concept qui fait partie du droit canadien et du droit québécois, même s’il ne figure pas expressément dans la Charte des droits et libertés, ayant été forgé par la Cour suprême en vertu de la règle voulant que « les juges disent le droit », la jurisprudence créant des règles de droit suppléant ainsi le législateur. L’AR découle implicitement de l’article 10 de la charte québécoise qui interdit toute discrimination. * Ce n’est pas une faveur et encore moins un privilège du fait qu’il rétablit une égalité mise à mal par une discrimination indirecte découlant de l’application de règles générales. * L’AR ne se limite pas aux champs religieux; il s’agit d’un concept plus large qui inclut l’âge, le sexe, la taille, la condition de femme enceinte, le handicap etc. * Il comporte ses propres limites bien définies par la jurisprudence puisqu’il ne peut être reconnu et octroyé que s’il n’entraîne pas de « contrainte excessive » (c’est-à-dire déraisonnable) pour un employeur ou une institution scolaire par exemple. Il ne s’agit donc pas d’un droit absolu, les contraintes pouvant être de divers ordres : financier; durée dans le temps; perturbation du fonctionnement d’une entreprise ou d’une institution; atteinte aux droits fondamentaux d’autres personnes etc. Enfin, il est tout à fait possible de refuser un AR ou d’en atténuer la portée en vertu de l’article 91 de la Charte des droits et libertés du Québec qui impose le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être des citoyens. * Il concerne l’individu et non le groupe auquel ce dernier appartient, ce qui ne signifie pas qu’un AR puisse faire forcément jurisprudence dans d’autres situations ou d’autres cadres. * Il n’est pas le seul outil de gestion harmonieuse de la diversité et de l’intégration; d’autres existent comme les programmes d’accès à l’égalité, la sensibilisation et l’éducation à la diversité. * Il est faux de prétendre que l’AR est imposé par les seuls tribunaux et Commissions des droits du Canada et du Québec. En effet, l’AR étant une manière civilisée de régler des conflits, la majorité des requêtes formulées par des individus se règlent à l’amiable sans qu’une tierce partie officielle ou judiciaire ait à intervenir, ce qui évite la judiciarisation du processus et sa possible exploitation négative par les médias. Aussi faut-il espérer que l’on cessera bientôt : * D’opposer l’accommodement raisonnable à la légalité pour se faire à l’idée qu’il en fait partie; * De mettre en exergue les quelques cas controversés portés devant la Commission des droits de la personne et les tribunaux; * D’exploiter de rares exemples de décisions peu justifiées ou irréfléchies (comme l’exonération de certains; * élèves de cours de musique sur la base d’une interprétation religieuse minoritaire et contestable); * De croire que ce droit individuel s’applique à des groupes religieux ou autres; * D’y inclure des arrangements ou des privilèges accordés à des groupes ou des communautés. Conquête précieuse d’une société démocratique civilisée, régie par le droit et soucieuse du respect de différences susceptibles de se traduire par de la discrimination indirecte, l’AR gagne à être connu et respecté. C’est un outil précieux d’intégration. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas en débattre, à la lumière d’une laïcité en devenir, du nombre croissant de demandes d’AR et des mutations démographiques qui marquent de plus en plus le tissu social québécois… Pourvu que le débat soit aussi sérieux que serein, éclairé et honnête, et s’inscrive dans le cadre plus large des défis de la laïcité. Pour en finir avec certains accommodements et des abus collectifs Pour en finir avec le matraquage médiatique dont l’opinion publique vient d’être gavée ad nauseam au sujet de l’AR, il convient de rappeler aux individus tentés de formuler une demande d’accommodement raisonnable, tout comme aux personnes, institutions et entreprises devant y répondre, de faire preuve de discernement. * Les premiers, et au premier chef ceux qui appartiennent aux communautés faisant le plus l’objet de discriminations, les Arabo-Berbères musulmans, ont le devoir impérieux de soupeser les conséquences de quelques unes de leurs requêtes sur l’ensemble de leur groupe. En effet, outre l’effet dévastateur de la médiatisation sur une communauté déjà fragile, il existe des cas où des employeurs échaudés ont carrément décidé de ne plus recruter de musulmans. Ce qui se traduit par davantage d’exclusion préjudiciable à toute la communauté. Nous sommes là en face d’une situation apparemment contradictoire du fait que de nombreux musulmans sont réticents à déposer plainte pour discrimination, alors qu’une minorité d’entre eux se lancent parfois sans réfléchir dans des demandes discutables d’AR. Un tel paradoxe ne peut s’expliquer que par la lenteur et les difficultés d’accession à une pleine culture de droit et d’exercice responsable des droits et obligations. * Les seconds n’ont pas à céder sur des principes non négociables comme la dispense de certains cours d’élèves dont les parents invoquent, à tort plus qu’à raison, des valeurs religieuses. Les lectures obscurantistes de l’islam n’ont pas à s’imposer au détriment de l’enseignement de la musique, obligatoire pour tous. Y renoncer aujourd’hui reviendrait à céder demain sur l’éducation physique, voire sur certains chapitres de biologie relatifs à la sexualité et à la reproduction. * Les demandes d’arrangement ou de bon voisinage – ne relevant pas de l’AR – formulées par des groupes, doivent être évaluées avec la plus grande prudence par ces derniers au regard des valeurs de la culture publique commune comme, par exemple, l’égalité des sexes et la mixité. Certains privilèges accordés en ce sens ou des abus tolérés sont perçus comme étant inéquitables en plus de contribuer à la ghettoïsation. Ainsi doit-on déplorer une poussée, prévisible, de l’antisémitisme à l’occasion de la divulgation de la demande – qui a failli être acceptée!?! – de subvention étatique à 100% d’écoles privées juives. Ou du fait que certaines d’entre elles s’abstiennent d’enseigner ce qui est obligatoirement requis par la Loi sur l’instruction publique. L’irresponsabilité dont font preuve certains groupes bat en brèche les tentatives d’apaisement. La laïcité et les réticences de la société québécoise à accepter l’expression du religieux dans l’espace public Hijab musulman, Hérouv et Souka juifs, turban et Kirpan sikhs…autant d’épisodes qui continuent, en dépit des jugements des tribunaux, à entretenir une vive opposition au sein d’une frange majoritaire de l’opinion publique québécoise. Faut-il s’étonner que ces questions posent problème au Québec bien plus qu’au Canada anglais? Rappelons-nous la controverse sur l’arbitrage religieux en Ontario qui a pris une ampleur telle au Québec – Assemblée nationale incluse! – que les Ontariens eux-mêmes en ont été pour le moins étonnés, sachant que la question ne se pose aucunement dans la Belle Province dont le Code civil interdit toute forme d’arbitrage, religieux ou non, en matière familiale… Le Québec, une société bien distincte : Certains vont vite en besogne et invoquent les difficultés de la société québécoise à intégrer les immigrants, particulièrement ceux qui ne sont ni blancs, ni chrétiens. En dépit de ce discours qui traverse des communautés vulnérables, victimes de discrimination en emploi – les musulmans et les Noirs – une telle lecture, même si elle peut rendre compte d’un certain seuil d’intolérance, reste superficielle dans la mesure où elle fait abstraction de l’histoire et de la sociologie. Le Québec actuel, en effet, reste l’héritier récent d’une société relativement homogène, blanche, de langue française et de religion catholique qui a eu bien du mal à régler son contentieux avec sa minorité anglaise autrefois dominante, et qui se débat encore avec une « hypothèque » autochtone, le tout dans un environnement continental très majoritairement anglo-saxon. Avec sa Révolution tranquille, la société québécoise s’est rapidement sécularisée en entrant de plain pied dans la modernité. Parallèlement, la poussée migratoire, de plus en plus diversifiée et « haute en couleurs » se traduit parfois par l’affirmation d’identités qui se manifestent notamment par des pratiques et des signes religieux, et par des réclamations de droits d’exercice dans l’espace public. De plus, l’avènement des chartes des droits – celle du Québec et celle du Canada – a imprimé un virage qui garantit des droits aux membres des minorités. Dès les premières décisions de justice rendues en vertu des chartes, les réactions ont été vives et on a commencé à dénoncer ce nouveau mode de « gouvernement par les juges ». Cela dit, il est primordial de rappeler que le Québec, qui a à gérer ses propres minorités ethnoculturelles et religieuses, se trouve dans la position peu confortable de devoir assumer sa propre condition de minoritaire au sein du Canada et du continent, de même que son statut constitutionnel par rapport à la fédération canadienne. Enfin, il y a lieu de signaler, sans en exagérer la portée, la persistance d’une certaine influence française – la mère patrie de référence – sur une partie de l’intelligentsia et des médias québécois dans le traitement des minorités, approche à saveur jacobine, centralisatrice et interventionniste, qui demeure en porte-à-faux avec la souplesse de l’héritage de Common Law, celui-là même qui a permis l’émergence jurisprudentielle de l’accommodement raisonnable et sa mise en œuvre. Un modèle québécois de laïcité ouverte qui ne fait pas encore consensus : En premier lieu, il est important de se souvenir que la laïcité au Québec et au Canada est le fruit d’une sécularisation « de fait » de la société et qu’elle n’a pas fait l’objet, comme en France, d’un choix politique officialisé; bien plus, la Constitution canadienne continue à faire expressément référence à la « suprématie de Dieu ». La laïcité « à la québécoise » cherche à trouver sa propre voie par rapport au modèle français; elle vise à consacrer clairement la neutralité de l’État vis-à-vis des croyances et des cultes, sans pour autant exclure toute expression religieuse de la sphère publique. Cependant, ce résultat de la mise en œuvre des chartes des droits rencontre des résistances quand les doléances de membres de groupes minoritaires sont de nature religieuse et touchent à la condition – réelle ou fantasmée – de la femme, tout cela renvoyant à la société les images fortes de son propre passé récent de lutte anticléricale et de gains pour la condition féminine. C’est cette nouvelle culture juridique qui pose problème du fait qu’elle peine à susciter le consensus social requis au Québec. Un tel volontarisme juridique généreux a du mal à faire évoluer les mentalités dans le sens voulu par les pouvoirs législatif et judiciaire dans une société démocratique soucieuse, en principe, du bien-être de ses minorités. Si cette évolution n’a pas connu de difficultés majeures dans le reste du Canada, il ne faut pas se surprendre qu’il en soit autrement au Québec où les conséquences des chartes des droits paraissent mettre plus de temps à atteindre un degré confortable d’acceptabilité sociale…À moins que le décalage persiste encore longtemps, ce qui n’est pas très sain pour la paix sociale, et ce que, dans leur irresponsabilité, les médias et l’ADQ feignent d’ignorer en s’attaquant de front à l’accommodement raisonnable. À l’évidence, le modèle québécois de laïcité ouverte ne fait pas encore partie de la culture publique commune du Québec, celle-là même à laquelle les immigrants sont invités instamment – et de manière légitime d’ailleurs – à adhérer. Il est dangereux que certains s’opposent au cheminement vers une « laïcité d’intelligence » que le philosophe Régis Debray oppose à la « laïcité d’incompétence », celle-là même qui semble avoir atteint ses propres limites en France. Entre multiculturalisme et inter-culturalité : Ignorer les conditions qui expliquent les réticences de la société québécoise vis-à-vis de l’expression de droits réclamée par des personnes appartenant à des groupes minoritaires comporte le risque de juger injustement le Québec par rapport à la situation, fort différente, prévalant au Canada anglais où le multiculturalisme prend parfois une tournure communautariste. La question fondamentale que la persistance du décalage entre le droit et son acceptabilité sociale suscite est celle de la position de la société québécoise vis-à-vis du modèle canadien de multiculturalisme. Or l’on sait les fortes réserves et les critiques formulées depuis longtemps au Québec vis-à-vis du multiculturalisme, choix politique inséré dans la constitution canadienne et régi par la loi, ce qui se traduit par un engagement clair des pouvoirs publics à cet égard. En d’autres termes, le Québec a-t-il l’ambition d’opter plutôt pour l’approche bien plus inclusive, mais autrement plus ardue de l’inter-culturalité, laquelle n’a rien à voir, il faut le préciser, avec l’assimilation? Dans l’affirmative, a-t-il les moyens de son ambition? Si le débat reste ouvert, il y a lieu d’éviter qu’il ne bute sur certains écueils comme : * La prétendue absence de définition claire de la culture québécoise, alors que la « culture publique commune du Québec » s’impose de par ses éléments constitutifs connus; * Le soi-disant flou entourant l’identité québécoise, comme si celle-ci devait absolument être délimitée avec certitude; or toutes les nations, y compris le Québec, ont une identité relativement bien définie, mais en constant devenir; * Le matraquage que vient de subir l’AR. Conclusion Il faut espérer que la réflexion que voudrait amorcer la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur la laïcité – éclairée par les travaux du Comité sur l’accommodement raisonnable dans le réseau scolaire, du Comité des affaires religieuses du ministère de l’Éducation, et du Conseil des relations interculturelles ­- puisse s’ouvrir au plus tôt et donner lieu à un réel débat de société. Nous devrions alors pouvoir, collectivement et de manière responsable, tourner la page à jamais sur le dérapage qui vient d’être infligé injustement à l’ensemble de la société, et faire face, enfin, aux vrais défis qui se posent déjà à la société québécoise.

Par Touhami Rachid RAFFA
Carrefour Culturel Sésame de Québec

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